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Appel
Date limite de soumission : samedi 20 septembre 2025
Numéro coordonné par Julie Marquet julie.marquet chez univ-littoral.fr, MCF histoire contemporaine, Univ. du Littoral Côte d’Opale et Jan C. Jansen, historien, professeur à l’Université de Tübingen.
Contact : lannee.dumaghreb chez gmail.com
« Alors que les études se sont multipliées depuis 2020 sur les monuments liés à l’histoire de la colonisation contestés ou renversés, les travaux sont restés plus rares sur le devenir, après les indépendances, des monuments qui avaient été érigés au Maghreb (pour l’Algérie, voir Chauliac, 2023 ; Rahal, 2023 ; Slyomovics, 2024). Ces monuments (statues, bustes, colonnes, arches, plaques) ont été mis en place dans le but de commémorer la conquête et de célébrer le contrôle des autorités françaises, espagnoles ou italiennes sur le territoire et les populations (Jansen, 2013). Investis d’intentions violentes, ils constituaient à la fois des symboles de domination, des marqueurs de souveraineté, et, dans le cas de l’Algérie, des outils de cohésion nationale pour les Français. Pour cette raison, l’armée française a entrepris de retirer une partie des monuments algériens pour les transférer en France à partir du printemps 1962. Certaines statues dites « rapatriées », réclamées selon des modalités et des temporalités variées, ont été réinstallées dans l’espace public hexagonal – elles font aujourd’hui l’objet d’un projet de recherche, « Statues rapatriées », dirigé par Julie Marquet1. Au Maghreb, les monuments ont été retirés de l’espace public : ils ont été détruits (Arche de Philaeni entre Syrte et Benghazi en Libye), placés dans des musées (statue de Jules Ferry à Tunis en Tunisie), ou installés à l’intérieur dans l’enceinte de bâtiments (statue de Lyautey placée dans la cour du consulat de France à Casablanca au Maroc). En Algérie, particulièrement touchée par la statuomanie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, certains monuments sont restés installés, à côté de socles vides, ; certains ont été transformés matériellement, réinvestis de nouvelles significations, et sont devenus de nouveaux monuments (Slyomovics, 2024).
L’objectif de ce dossier est de fournir une étude inédite des monuments coloniaux érigés au Maghreb, envisagés comme un corpus essentiel pour comprendre l’expression des rapports de domination coloniale, leur reconfiguration au moment de la sortie d’empire, et leur legs des deux côtés de la Méditerranée. Ce corpus, non exhaustif et que la série des articles proposés ne pourra pas épuiser, sera abordé dans une optique pluridisciplinaire et protéiforme (histoire, histoire de l’art, histoire publique, récit artistique, anthropologie, etc.). Le dossier vise pour cela à réunir les chercheuses, chercheurs et artistes dont le travail a été précurseur dans l’attention portée aux monuments coloniaux, ainsi que celles et ceux dont les travaux en cours offrent un éclairage sur des aspects encore peu abordés de la longue vie de ces monuments. Pour porter différentes approches et différentes voix, le dossier prend le parti d’aborder les monuments comme des objets actifs, intégrés à la sphère sociale et constituant, à un moment donné de leur vie d’objets, des sites de pouvoir. Il considère en effet, à la suite des propositions élaborées par les anthropologues dans les années 1980 et des études engagées depuis le material turn, qu’il est possible de restituer tout ou partie la « biographie culturelle » et de la « vie sociale d’objets » (Appadurai, 1986) des monuments coloniaux. Ces monuments se distinguent des biens marchands ou des objets du quotidien sur lesquels portent la plus grande partie des études biographiques, parce qu’ils sont des objets patrimoniaux investis d’une charge commémorative et d’une possible valeur artistique. Pourtant, comme les biens marchands ou les objets du quotidien, ces œuvres ne sont pas des pièces statiques et immuables, mais des objets malléables et mobiles. Ils ont fait débat, circulé, été transformés, oubliés ou célébrés.
L’enjeu du dossier est de produire des études situées du corpus des monuments coloniaux, c’est à-dire des études qui les inscrivent dans différents niveaux de contextes à différentes étapes de leur vie d’objets, et/ou qui les abordent avec un ancrage et un point de vue spécifique déterminant la méthodologie de l’enquête – par exemple dans le cas de récits résonnants avec une mémoire familiale ou une enquête artistique. Le dossier propose pour cela deux axes de lecture et d’analyse des objets.
1/ Commémorations et fabrique des héros.
Le premier axe concerne le rôle des monuments dans les processus de commémoration au Maroc, en Tunisie, en Algérie et en Libye. Il invite à interroger ce rôle au regard des régimes commémoratifs coloniaux, dont Jan Jansen a bien montré la spécificité pour le cas de l’Algérie : des pratiques commémoratives métropolitaines sont transposées et ajustées, investies de sens multiples et parfois divergents, dans un effort de légitimation de la présence coloniale (Jansen, 2013). Ce premier axe appelle également à creuser le caractère feuilleté des modèles commémoratifs. Ainsi, les statues de soldats ou d’hommes politiques installées dans le contexte de la statuomanie de la IIIe République (Agulhon, 1978) rendent immédiatement lisible le modèle représenté. Pour autant, en contexte colonial, ce modèle ne peut pas exister de manière anodine, presque fortuite au milieu de l’inflation monumentale, comme c’est le cas en métropole. De fait, les « grands hommes » statufiés sont construits comme tels dans le cadre d’une « culture d’empire » (Sibeud, 2012), et leurs représentations monumentales s’inscrivent par couches dans un petit panthéon héroïque d’objets et de chansons qui leur sont dédiés (Tillier, pour ce numéro). La commémoration, comme geste actif, peut être inversée ou désamorcée par des processus de dé-commémoration (Gensburger et Wüstenberg, 2023). Ces processus, engagés aux indépendances, transforment les monuments en les réinvestissant d’une nouvelle mémoire : c’est le cas d’une partie de certains monuments restés en Algérie et transformés en monuments aux Martyres de la Révolution algérienne (Slyomovics, 2024), ou de certains monuments transférés en France devenus des lieux de mémoire pour les pieds-noirs (Chauliac, 2023).
2/ Après l’oubli : absences, traces, mémoires.
Les héros fabriqués ou honorés à partir des années 1840 sont pour partie aujourd’hui oubliés : c’est le cas du duc d’Orléans, dont le nom et l’histoire avaient déjà disparu à Alger quand sa statue a été démontée, et que peu de gens connaissent aujourd’hui à Neuilly où la statue a été réinstallée (Sessions, 2017). De même, à Nancy, le sergent Blandan fait aujourd’hui figure de héros inconnu . Si quelques figures qui ont été célébrées dans un contexte donné sont aujourd’hui oubliées, ce sont tous les monuments qui suscitent aujourd’hui surtout du désintérêt. Il est significatif que le mouvement de prise à parti des statues liées à l’histoire de la colonisation n’ait touché aucune des statues réinstallées en France et provenant d’Algérie (Marquet et Sibeud, 2024). Se pose alors la question du caractère toujours actif du pouvoir des monuments, et de la manière dont le mouvement le désamorce.
Ce second axe invite à examiner l’oubli, le désintérêt, et la perte – à l’image de cette statue italienne de louve en bronze, retrouvée en 2023 dans une ferme près de Benghazi, qui aurait été achetée à un ferrailleur après avoir disparu pendant plusieurs décennies. Il pose également la question de la manière dont il est possible de travailler à partir de traces et d’écritures palimpseste de l’histoire des empires ou des Etats-nations. L’artiste algéroise Amina Menia, interpelée par une fissure dans le coffrage réalisé par le sculpteur algérien Issiakhem (1978) sur le monument aux morts réalisés par le sculpteur français Landowski (1928), a proposé d’en faire un moulage, puis a travaillé sur l’histoire de cette fissure dans le cadre du projet Enclosed (entretien prévu dans ce dossier). Ce second axe invite enfin à s’intéresser à la manière dont des récits artistiques ou des mémoires individuelles résonnent avec les monuments. Le premier ouvrage consacré aux monuments dits « rapatriés » d’Algérie, réalisé par Alain Amato, est né de son sentiment de sidération face au monument à Lamoricière installé à Saint-Philibert de Grand Lieu et qu’il avait connu à Constantine, et de la nostalgie qu’il avait alors ressentie (Amato, 1979). Une des pistes fécondes pour penser la vie, la place et le devenir des monuments se situe dans l’articulation entre leur histoire d’objet publics et leur histoire sensible d’objets résonnant avec des histoires familiales ou personnelles. Malek Kellou a ainsi engagé un travail autour de la statue nancéenne du Sergent Blandan avec sa fille Dorothée, parce qu’enfant il avait côtoyé cette statue à Boufarik, et qu’il souhaitait partager avec elle son histoire algérienne (entretien prévu dans ce dossier).
Calendrier
20 septembre 2025 : date limite d’envoi des propositions d’articles (400 à 600 mots, en français ou en anglais), accompagnées de références bibliographiques et d’une courte biographie de l’auteur·e ou des auteur·e·s. Les propositions doivent être envoyées à lannee.dumaghreb chez gmail.com et au coordinateur du numéro.
Fin septembre 2025 : retour sur la pré-évaluation. Les auteur·e·s seront informé·e·s si leur proposition est acceptée, refusée, ou acceptée sous condition de modifications. la revue. Janvier 2026 : date limite de remise des articles complets, rédigés selon les normes éditoriales de la revue. Les recommandations aux auteur.e.s sont consultables ici
Avril à juin 2026 : retour aux auteur·e·s sur l’évaluation anonyme de leur article. Chaque contribution fera l’objet d’une décision (acceptation, refus, demande de modifications) accompagnée de commentaires détaillés.
Juillet à septembre 2026 : remise des versions définitives des articles, après révisions (le plus souvent plusieurs versions sont nécessaires avant la version définitive).
Décembre 2026 : parution du numéro.
Page créée le lundi 23 juin 2025, par Webmestre.