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Appel
Date limite de soumission : vendredi 4 avril 2025
Appel à communications pour la 8ème journée d’études des doctorant·es du CRHEC (Université de Paris Est Créteil), organisée le mercredi 18 juin 2025 par Emmanuel Jud, Francesco Olivo, Thomas Paire, Solène Teron et Camille Courgeon
Les propositions de communications devront être adressées avant le 4 avril 2025 (1000 signes espaces compris, avec une courte bibliographie et présentation de l’auteur·rice), à journeedoctorantcrhec chez gmail.com
Lors du festival d’histoire populaire organisé par l’UPEC en 2024, les projecteurs avaient été tournés vers les « paroles populaires », autour de leur conservation et de leurs transformations. C’est pour poursuivre certaines de ces réflexions que les doctorant·es du CRHEC ont décidé de s’interroger cette année sur les questions que pose le fait d’étudier la parole et la place des dominé·es en histoire dans une perspective transpériode.
Nombreuses sont les traditions historiennes qui se sont attachées à retrouver ces paroles, de l’école des Annales proposant de les saisir à travers l’analyse quantitative, à la microstoria recherchant « l’exceptionnel normal ». Nous avons retenu, pour notre part, la question posée par Gayatri Chakravorty Spivak dans son essai fondateur Les subalternes peuvent-elles parler ? (Spivak, 1985). La chercheuse s’inscrivait dans un courant développé dans un premier temps par des historien·nes sud-asiatiques : les Subaltern studies, qui ont profondément marqué le champ des études postcoloniales en cherchant à réécrire l’histoire du point de vue des groupes marginalisés et opprimés, remettant en question les récits dominants et centrés sur les élites.
Cette question continue de recevoir des réponses qui enrichissent le débat historiographique sans le clore et ce, dans toutes les périodes. En témoignent, par exemple, les récents travaux de Paulin Ismard sur la perception de l’esclavage en Grèce antique (Ismard 2023) ou encore ceux de Myriam Paris sur les enjeux féministes, l’économie reproductive et le pouvoir colonial à la Réunion aux xixe et xxe siècle pour la période contemporaine (Paris 2020). En histoire médiévale, de nombreuses études ont replacé la pauvreté dans une évolution historique, du séminaire de Michel Mollat sur l’histoire de la pauvreté dans les années 1970 et des travaux de Bronislaw Geremek (Geremek 1976) sur la marginalité, jusqu’aux analyses de Todeschini sur les processus par lesquels certains métiers avaient été placés sous le signe de « l’infamie » (Todeschini 2015). On retrouve également une réflexion sur les fondements de la pauvreté et la marginalité dans les travaux de Laurence Fontaine sur la période moderne, notamment sa récente étude des réponses au concours de l’Académie de Châlons en 1777, qui la conduit à donner une vue d’ensemble du phénomène dans l’Europe du xviiie siècle (Fontaine 2022).
La question de Spivak interroge non seulement la capacité des groupes subalternes à s’exprimer, mais aussi la capacité et la légitimité des intellectuel·les à représenter ces voix marginalisées, dans des contextes politiques et sociaux en constante évolution. Nous proposons de réexaminer les défis posés par l’étude de ces groupes, notamment dans des rapports sociaux de race mais aussi de genre, de classe, d’âge et de sexualité. Cette journée d’étude invite ainsi les doctorant·es et jeunes chercheur·ses en histoire, mais aussi de toutes les sciences humaines et sociales dont l’approche se situe dans une perspective historique, à présenter les solutions développées dans leurs travaux pour répondre aux enjeux posés par l’étude des groupes dominés.
Ces réflexions, qui visent à s’appuyer précisément sur l’expérience individuelle de chacun·e des intervenant·es, s’articuleront autour de trois axes principaux :
Axe 1 : Entendre
Il y a presque deux siècles, Michelet jouait de la métaphore de la voix des archives pour décrire sa première visite aux Archives Nationales : « dans le silence apparent de ces galeries, [il] y avait un mouvement, un murmure qui n’était pas de la mort ». Mais comment faire lorsque certaines voix n’ont pas trouvé, ou pas directement, à s’exprimer ? Dans ce premier axe de la journée, il s’agit d’interroger les sources laissées par les groupes considérés comme dominés dans le cadre d’un rapport de force (Faure, 2021). Le·a chercheur·se fait face à la question de leur nombre, souvent faible, parfois nul, ou de la qualité de leur conservation. Que traduisent ces situations ? Comment expliquer ces manques, qu’ils soient liés à des enjeux contemporains à nos sujets d’étude ou à des facteurs postérieurs ? Comment les pallier ? Quelles stratégies et méthodologies développer pour accéder aux voix silenciées de l’histoire ?
Axe 2 : Écouter
Au-delà de la difficulté à trouver ces traces du passé, nous souhaiterions proposer un questionnement sur la place qu’a, dans un parcours de chercheur·se, l’apprentissage d’une posture permettant de penser à écouter ces voix silenciées. En effet, héritier·es de traditions scientifiques, historiographiques et épistémologiques anciennes, mais aussi de cadres de pensées et de grilles de lectures inhérentes à leur société, les chercheur·ses peuvent reproduire des schémas de domination dans leurs recherches. Comment donner aux sources un sens nouveau ou en proposer des usages différents ? Comment renouveler les différents champs historiographiques (histoire politique, diplomatique, sociale…) en y intégrant la parole des minorités longtemps perçues comme peu sujettes à des études puisque, par définition, écartées des leviers de décision ?
Une question en particulier nous intéresse, celle de l’équilibre entre sensibilité aux déséquilibres de rapport de force et valorisation de l’agentivité. D’une part, le risque existe, comme le faisait remarquer Carlo Ginzburg dans l’avant-propos de 1976 au Fromage et les vers, de s’intéresser davantage à l’exclusion qu’aux exclus (Ginzburg 2014) : cela l’amène à proposer de lire l’archive « à rebours des intentions de ceux qui les ont produits » (Ginzburg 2003). D’autre part, suivant les propositions d’Ann Laura Stoler (Stoler 2009), il peut sembler indispensable d’avoir en vue les mécanismes de la domination, dans leur force comme dans leur fragilité, que cette historienne traque jusque dans les ratures des fonctionnaires coloniaux hollandais, dans une démarche allant « dans le sens de l’archive » (along the archival grain). Quels sont donc les cadres de pensée permettant de saisir et comprendre les espaces interstitiels où s’exercent les « arts de faire » des dominé·es (Certeau 1990) ?
Axe 3 : Rencontrer : les historien·nes, les acteur·ices et le terrain
À la recherche des traces des minorités, il arrive que l’historien·ne se retrouve engagé·e de sa personne. D’emblée, on pense à la situation des chercheur·ses des autres sciences sociales et aux historien·es du (très) contemporain, amené·es à pratiquer des enquêtes de terrain et à produire un discours analytique parallèle à celui de témoins et acteur·ices des événements. Dès lors, quelle est la place des scientifiques et de leurs trajectoires sociales propres au regard de leurs recherches et notamment au regard des groupes faisant l’objet de leurs études ? Quels sont les enjeux de l’appartenance, ou non, des chercheur·ses aux groupes auxquels iels consacrent leurs travaux ? Comment prendre en compte les rapports de pouvoir dans lesquels les chercheur·ses sont pris·es dans le cadre de leurs recherches ?
Dans l’optique transpériodique de notre laboratoire, nous souhaiterions étendre ce questionnement aux périodes plus anciennes à travers ce lieu de la rencontre (certes métaphorique) qu’est le terrain. Quel peut être l’apport de l’engagement physique qu’impliquent, par exemple, l’archéologie et la reconstitution dans la mise au jour des vies des dominé·es ? Quelles démarches innovantes développer pour saisir leurs traces (Adificare 2023) ? Nous serons particulièrement intéressé·es par les démarches d’archéologie expérimentale impliquant la maîtrise de savoirs techniques. Les interactions avec les acteurs locaux, associations, municipalités auxquels ces projets peuvent donner lieu attireront aussi notre attention. Nous pensons, par exemple, aux expérimentations de l’équipe du projet Carmo (Corps armés en montagne) proposant d’inscrire dans la société locale l’expérience de reconstitution de la première ascension du mont Aiguille en 1492 (Veltz 2023). Enfin, nous serons curieux·ses des démarches sui generis, comme la pratique d’une « histoire marchée » proposée par Antoine de Baecque qui permet de rencontrer le territoire, ses habitant·es mais aussi de faire une archéologie des pratiques de la marche tant des alpinistes-gentlemen de l’Alpine Club que des colporteurs et contrebandiers (de Baeque 2018).
Qu’est-ce que de telles mises en situation ont apporté à la recherche ? Faut-il être un peu marin pour étudier la navigation et un peu paysan pour faire de l’histoire rurale ? Quel sens aurait donc, pour les chercheur·ses qui tentent d’appréhender les rapports sociaux et les minorités, un modèle tel que le Joseph Conrad décrit par Calvino : « à la hauteur de la situation, sur le pont des voiliers comme sur une page » (Calvino 2013) ?
Bibliographie indicative :
Aedificare. Revue internationale d’histoire de la construction, dossier « Les couvertures et leur matériau de l’antiquité à l’époque contemporaine », n°14, 2023.
Arondekar Anjali, Cvetkovich Ann, Hanhardt Christina B., Kunzel Regina, Nyong’o Tavia, Rodríguez Juana María, Stryker Susan, Marshall Daniel, Murphy Kevin P., Tortorici Zeb, « Queering Archives », dans Radical History Review, n°122, 2015, pp. 211‑231.
Beaubatie Emmanuel, « Savoirs multisitués : Les reliefs de la positionnalité », Raisons politiques, n°89(1), 2023, pp. 25‑42.
Bhattacharya Sabyasachi, « History from Below », dans Social Scientist, n°11(4), 1983, pp. 3-20.
Calvino Italo, « I capitani di Conrad », dans Perché leggere i classici, Mondadori, 2013, pp. 194-199.
Certeau Michel, L’invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.
De Baecque Antoine, La traversée des Alpes : Essai d’histoire marchée, Paris, Gallimard, 2018.
Des femmes qui comptent. Genre et participation sociale en Grèce et à Rome, dir. S. Boehringer, V. Sebillotte-Cuchet et alii, Paris-Athènes, Éditions de l’EHESS, 2020.
Faure Ruby, « Tordre les archives (queering archives) : oui, mais dans quel sens ? » dans GLAD !, vol. 11, 2021, pp. 1-18.
Fontaine Laurence, Vivre pauvre : Quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières, Paris, Gallimard, 2022.
Gauvard Claude, Passionnément Moyen Âge, Plaidoyer pour le petit peuple, Paris, Tallandier, 2024.
Geremek Bronislaw, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles, Paris, Flammarion, 1976.
Ginzburg Carlo, Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, Paris, Seuil, 2003.
Ginzburg Carlo, Le fromage et les vers, trad. fr. Monique Aymard, Paris, Aubier, 2014.
Harding Sandra, « Rethinking standpoint epistemology : What is “strong objectivity” ? », dans Feminist epistemologies, n°36, 2013, pp. 49‑82.
Ismard Paulin, Le miroir d’Oedipe, Penser l’esclavage, Paris, Seuil, 2023.
Paris Myriam, Nous qui versons la vie goutte à goutte : féminismes, économie reproductive et pouvoir colonial à La Réunion, Paris, Dalloz, 2020.
Perrot Michelle, Les femmes, ou, Les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998.
Spivak Gayatri Chakravorty, Les subalternes peuvent-elles parler ?, trad. fr. Vidal Jérôme, Paris, Éditions Amsterdam, 2020.
Stoler Ann Laura, Along the archival grain : epistemic anxieties and colonial common sense, Princeton, Princeton University Press, 2009.
Todeschini Giacomo, Au pays des sans nom. Gens de mauvaise vie, personnes suspectes ou ordinaires du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, Verdier, 2015.
Veltz Ludovic, Retour au Mont Aiguille [documentaire], 2023.
Colloque
Mercredi 18 juin 2025
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