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Appel
Date limite de soumission : samedi 1er mars 2025
Journée organisée par Yaël Gagnepain Yaël (IHMC, CERES ENS-PSL) et Émilie Pasquier (CHSP Sciences Po) à l’École Normale supérieure, Paris, le 11 juin 2025
La disponibilité, les usages et les contaminations des eaux seront des sujets centraux des prochaines décennies. Les hydrologues estiment qu’un bouleversement global du cycle de l’eau douce est en marche (Oki et Kanae 2006). Ce bouleversement est la conséquence à la fois du dérèglement climatique d’origine anthropique et de l’utilisation toujours plus importante de l’eau douce pour les activités humaines (Savelli et al. 2023). À l’issue de la « Conférence des Nations Unies sur l’eau », qui s’est tenue en mars 2023 à New York, première rencontre de ce type organisée depuis 1977, un rapport est publié sur les ressources globales en eau (Connord et Miletto 2023). Il estime que « l’utilisation des ressources en eau dans le monde augmente de près de 1 % par an et devrait continuer d’augmenter à un rythme similaire jusqu’en 2050 ». Il affirme également qu’aujourd’hui « 46 % de la population mondiale (3,6 milliards de personnes) n’a pas accès à des services d’assainissement gérés de façon sûre ».
La situation climatique et la modification des activités humaines ont asséché de très nombreux territoires, et de vastes régions du monde connaissent une désertification rapide. Les tensions hydriques que subissent d’un côté les écosystèmes, et de l’autre les infrastructures humaines de collecte et de distribution, sont à l’origine d’une multiplication de conflits d’usages de l’eau. Ces conflits alimentent des débats de sociétés qui remettent en cause les modèles de développement choisis ou imposés, au point que la disponibilité et la gestion de l’eau sont devenues « l’un des principaux domaines de contestation des politiques néolibérales » (Le Gouill, Cortinas Muñoz, et Poupeau 2019).
Ces dernières décennies, alors que nos sociétés réalisaient l’importance des contaminations et pollutions imposées aux environnements par deux siècles d’intense activité industrielle, l’historiographie a su produire une histoire sociale des pollutions et de leur acceptabilité. Cette histoire a interrogé la diversité des pratiques déployées par les acteurs économiques, les institutions scientifiques, et les administrations publiques pour faire tolérer les rejets polluants, toxiques ou insalubres dans les environnements. Ainsi, la contamination précoce, au XIXe siècle, des rivières d’Europe occidentale par les activités industrielles a été particulièrement bien décrite (Carré et Lestel 2021 ; Massard-Guilbaud 2010 ; Francois Jarrige et Le Roux 2020 ; Le Roux 2011). Aujourd’hui, alors que les conflits d’usage de l’eau en tant que ressource se multiplient, la discipline historique doit effectuer un travail similaire à celui réalisé pour les pollutions industrielles afin de produire une histoire de la mise à disposition de l’eau pour les activités humaines. À ce titre, le XIXe siècle s’avère être une période charnière. Nos sociétés contemporaines héritent des mutations des rapports à l’eau qui naissent durant ce siècle, notamment dans les pays occidentaux en voie d’industrialisation et dans les espaces coloniaux.
En faisant dialoguer plusieurs approches, cette journée d’étude vise à faire vivre ce nécessaire débat pour permettre de décrire la modification des rapports des sociétés humaines à l’eau au XIXe siècle. En particulier, on entend s’intéresser aux nouvelles stratégies de l’accaparement de l’eau qui voient le jour au profit d’intérêts économiques émergents durant ce siècle. Cette journée, et le dossier qui la suivra, proposent donc tout d’abord de considérer l’eau comme une ressource minérale qui, au même titre que le charbon, le bois, ou divers métaux, a été centrale dans le développement industriel (Axe 1). En partant de cette affirmation, on propose de mettre en avant les nouvelles matérialités de l’accaparement et de réfléchir à l’évolution de la place des États modernes dans l’évolution des rapports à l’eau des sociétés au XIXe siècle (Axe 2). Enfin, en travaillant sur l’évolution du fait urbain, on entend mettre l’accent sur les conflits que fait surgir l’accaparement de l’eau durant la période (Axe 3).
Premier axe : L’eau, une ressource minérale au service de l’industrialisation ?
Le XIXe siècle peut être décrit comme une période de transition d’une « économie organique » à une « économie minérale » (Charbonnier 2020). Cette économie minérale est caractérisée par l’extraction d’immenses quantités de ressources fossiles pour produire de l’énergie. La mutation des systèmes énergétiques au XIXe siècle a pourtant été tributaire de la mise au travail de vastes quantités d’eau. Si les machines à vapeur ne pouvaient fonctionner sans eau, l’historiographie de la période a également montré l’importance des roues hydrauliques dans le mix énergétique des sociétés en voie d’industrialisation au XIXe siècle (Malm 2016 ; Benoit 2020 ; Steinberg 1994 ; Fressoz 2024). De même, les procédés industriels, en se diversifiant, inventent de nouveaux usages de l’eau (chimie, refroidissement des machines…) tandis que des usages ancestraux de l’eau sont également perfectionnés et requièrent une ressource toujours plus abondante et domestiquée, que ce soit pour le transport par flottage (Jacob-Rousseau, Jarrige, et Langoureau 2023), le lavage des laines ou des cotons (Gagnepain 2023), le rouissage (François Jarrige 2019), ou les teintures, entre autres. Tous ces usages invitent à considérer l’eau comme une ressource minérale centrale dont la disponibilité fut, au même titre que celle du charbon ou du bois, indispensable au développement des sociétés industrielles. Étudier les usages de l’eau au XIXe siècle oblige donc à s’intéresser à l’évolution des techniques ayant permis la mise à disposition de cette ressource. La période voit ainsi le perfectionnement des techniques de forages, le développement de nouveaux savoirs hydrographiques (Parrinello 2017) susceptibles de domestiquer les rivières, de les canaliser et de rationaliser leurs débits, ainsi que l’invention de nouvelles pratiques de purification de l’eau.
Deuxième axe : Place de l’État, infrastructures et droit
Depuis ses travaux discutés sur les empires orientaux (Manning 2002), Karl Wittfogel a initié une tradition d’étude des structures étatiques au prisme de leurs rapport à l’eau (Wittfogel 1977). À ce titre, le XIXe siècle offre de nombreuses pistes de réflexion. Les nouveaux besoins en eau reconfigurent le rôle des États dans la mise à disposition de l’eau. Pourtant les droits de l’eau évoluent lentement (Ingold 2017 ; 2011). En Europe occidentale, ce sont les pouvoirs administratifs qui prennent en charge la planification de multiples infrastructures de captage et de distribution de l’eau – canaux, barrages, canalisations, forages. La réalisation de ces travaux a pu tout autant reposer sur la collectivité qu’être confiée à des entreprises et des capitaux privés, notamment par le biais de concessions, qui forment un cadre juridique ménageant l’exploitation de la ressource en eau. Ces cadres juridiques comme techniques de la mise en œuvre des infrastructures hydrauliques s’inscrivent par ailleurs dans des circulations transnationales d’expertise et de modèles (Tarr et Dupuy 1988). Il convient toutefois d’explorer les spécificités qu’ont pris les formes administratives et politiques qui ont facilité l’accaparement de l’eau, d’un côté dans les métropoles européennes en voie d’industrialisation, et de l’autre dans les territoires coloniaux. Plusieurs travaux ont ainsi montré que les aménagements menés par les Britanniques sur le Nil à la fin du XIXe siècle s’insèrent dans une économie politique coloniale (Tvedt 2004 ; Derr 2019). Comprendre ce qui a rendu possible l’accaparement de l’eau nécessite donc une description fine des différents acteurs sociaux, économiques et politiques, qui participent à la construction d’un rapport « moderne » (Jarrige et Fureix 2020) à l’eau des sociétés au XIXe siècle.
Troisième axe : Urbanisation et conflits
L’approvisionnement des villes en eau au XIXe siècle se heurte à un défi : celui de la croissance des métabolismes urbains. La ville consomme et concentre de plus en plus de ressources, et produit de plus en plus de déchets (Wolman 1965 ; Barles 2002 ; Jarrige et Le Roux 2020). L’intensification de l’accaparement de la ressource en eau au XIXe siècle s’effectue donc dans un contexte d’importantes mutations sociales et démographiques, qui se traduisent par une forte urbanisation, notamment dans les sociétés occidentales. La transformation des environnements urbains se fait sous l’action de différents acteurs – ingénieurs, médecins, urbanistes – motivés pour certains par des standards hygiénistes qui placent l’eau au cœur de la ville (Barles 1999). L’assainissement des villes s’accompagne d’une recomposition des ségrégations urbaines marquées par une inégalité d’accès à la ressource. L’histoire de l’eau urbaine et de ses liens avec l’hygiénisme a été abondamment documentée (Frioux 2013), aussi il convient de s’intéresser à d’autres facteurs moteurs de la mise à disposition de l’eau en ville : l’introduction de capitaux, le déploiement d’une expertise technique, la volonté politique (Hamlin 2009).
Pour s’approvisionner en eau au XIXe siècle en quantité suffisante, les métabolismes urbains organisent leur domination des bassins versants adjacents pour assurer leurs besoins de consommation, s’apparentant dans un certain cas à ce que Sabine Barles désigne comme un impérialisme hydraulique. Le domaine de la ville s’étend donc désormais au-delà des frontières urbaines. L’exemple de Paris a permis d’explorer l’interdépendance entre la ville et son fleuve (Backouche 2016), voire même « l’extraterritorialité » de la ville sur le bassin de la Seine (Barles 2012). Cela se traduit par une domestication des rivières par leur endiguement par exemple, et par la construction de canaux qui détournent et acheminent l’eau jusqu’à la ville – voir par exemple : (Graber 2009 ; Soll 2013 ; Morgan 2015 ; Haidvogl et al. 2018). Cette intensification de l’utilisation de l’eau par les villes a de nombreuses conséquences environnementales, en particulier l’assèchement des nappes phréatiques, ce qui pose la question de la désertification de certains espaces au profit de l’approvisionnement d’autres. Les infrastructures permettant la conduite d’eau jusqu’à la ville peuvent en effet entrer en conflit avec d’autres usages de l’eau, notamment ses usages agricoles ou de navigation commerciale.
Ces trois axes nous semblent susceptibles la fois de permettre de mieux comprendre les mécanismes d’accaparement de l’eau au XIXe siècle, mais aussi de traiter les différentes problématiques que cet accaparement a fait surgir, au carrefour des enjeux urbains, industriels, démographiques et impériaux. Nous proposons de relire le XIXe siècle au prisme de l’eau, au cours de cette journée qui sera suivi de la publication d’un dossier de 4 à 6 articles.
Les propositions de communications devront comporter un titre court et un argumentaire (3000 signes espaces compris présentés en une page sous PDF de préférence), jalonné éventuellement par quelques intertitres courts et explicites. L’auteur.ice doit indiquer son établissement ou laboratoire de rattachement. Ces propositions sont à adresser au plus tard le 1er mars 2025 en précisant l’objet « journée d’étude - eau » à
yael.gagnepain[a tens.psl.eu] et emilie.pasquier[a tsciencespo.fr]
Les auteur.ices seront avisé.es du résultat des sélections à la fin du mois de mars 2025. Des précisions seront alors données sur l’organisation matérielle de la journée d’étude. L’organisation pourra prendre en charge le déplacement et la restauration des communicants. La journée d’étude sera ouverte au public.
Les communications, en français ou en anglais, d’une durée de 30 minutes feront l’objet d’une publication dans un numéro thématique de la Revue d’histoire du XIXe siècle.
Les participant.es seront tenu.es d’envoyer une première ébauche de leur article pour le 23 mai 2025. Ces papiers seront partagé.es à l’ensemble des participant.es pour nourrir les échanges durant la journée.
Calendrier
1er Mars 2025 : réception et sélection des propositions.
15 Mars 2025 : Publication du programme
25 Mai 2025 : Réception et partage des ébauches d’articles
11 Juin 2025 : Tenue de la journée d’étude.
Automne 2025 : Réception des V1 des articles et début du processus éditorial.
Début 2027 : Publication du dossier dans la Revue d’histoire du XIXe siècle (ce calendrier pourra être adapté en fonction des impératifs de publication de la revue).
Colloque
Mercredi 11 juin 2025 (École Normale supérieure, Paris)
Page créée le mercredi 11 décembre 2024, par Webmestre.