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Appel
Date limite de soumission : samedi 1er février 2025
La question de la mobilité des peuples autochtones demeure l’un des champs à explorer au sein d’une recherche autochtone de plus en plus étoffée dans les sciences humaines et sociales. Son importance est notamment attestée par le choix du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de consacrer son dernier rapport à destination de l’Assemblée générale des Nations à ce sujet (Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, 2024). Il propose ainsi la première étude systématique universelle sur la situation des peuples autochtones ayant adopté un mode de vie mobile. Cette situation n’est cependant que l’un des aspects de la question générique des rapports entre mobilité et peuples autochtones, laquelle interroge également la situation de ceux qui sont inscrits dans une mobilité ne constituant pour autant pas leur mode de vie.
1. La mobilité comme mode de vie : les peuples autochtones mobiles
Les peuples autochtones mobiles se situent à la jonction de deux catégories. D’une part, leur mode de vie les inscrit dans l’ensemble des populations nomades, dont il est usuellement convenu qu’elles se répartissent pour l’essentiel entre trois catégories : les communautés nomades pastorales, qui se caractérisent par leurs déplacements stratégiques organisés autour de la recherche de pâturages pour leurs bétails ; les communautés de chasseurs-cueilleurs ; les nomades « péripatétiques », se déplaçant parmi des populations sédentaires à qui elles proposent principalement des activités de service. D’autre part, ils constituent, pour reprendre les propos du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les peuples autochtones, « un sous-ensemble de peuples autochtones qui s’identifient comme tels en droit international ».
La conjonction de cette double caractéristique a longtemps soutenu des pratiques et des politiques de relégation et de marginalisation des peuples autochtones mobiles. Ces pratiques et politiques se sont alors adossées à une perception essentiellement négative de populations dont le nomadisme traduirait un moindre degré d’avancement en comparaison avec des sociétés dont la sédentarisation marquerait le passage vers la « civilisation ». Il est cependant intéressant d’observer que cette perception n’a pas toujours eu cours, notamment, si l’on relève la reconnaissance aux XVIIIème siècle d’États nomades. Cette évolution traduit ainsi l’ancrage d’une conception fondamentalement patrimoniale d’un État exerçant sa souveraineté au sein d’un territoire fixe et clairement délimité (Scott, 2017). Elle pose alors la question de la mise en œuvre du droit à l’autodétermination des peuples autochtones tandis que le droit international associe étroitement l’autodétermination à la création d’un État sur un territoire fixe et délimité.
La perception essentiellement négative du nomadisme est aujourd’hui mise à l’épreuve. Un pastoral shift est notamment engagé, en particulier dans les travaux de la FAO, afin de souligner la parfaite adéquation des populations autochtones pastorales pour affronter des conditions de vie particulièrement difficiles dans les espaces les plus inhospitaliers (FAO, 2022). L’expérience et l’expertise de ces peuples sont également soulignées, notamment dans la Déclaration de Dana sur les populations mobiles et l’environnement, rédigée en 2002 par un groupe de chercheuses et chercheurs en sciences naturelles et sociales provenant de différentes régions du monde, pour faire face aux enjeux environnementaux globaux (changements climatiques, érosion de la biodiversité). Elle est en outre désormais pleinement intégrée par les juridictions régionales de défense des droits humains. Elles ont en effet opposé à des États justifiant les déplacements forcés de peuples autochtones par la nécessaire préservation d’une biodiversité qu’ils menaceraient par leurs activités, la reconnaissance de leur rôle central de conservationnistes (p.e. : Cour interaméricaine des droits de l’homme, Peuples Kalina et Lokono c. Suriname, 25 novembre 2015 ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Centre for Minority Rights Development et al. v. Kenya, 25 novembre 2009).
La question environnementale est d’ailleurs centrale dans l’appréhension de la condition des peuples autochtones mobiles. Les changements climatiques, entre autres, accentuent les pressions que certains subissent voire en compromettent la survie. Mais ils peuvent également alimenter les tensions avec les populations sédentaires, notamment en ce qui concerne l’accès à des ressources de plus en plus rares. Les mesures adoptées dans le but d’engager une transition écologique, via le déploiement d’énergies durables, se confrontent parfois avec la préservation des droits des peuples autochtones mobiles. Le contentieux en Suède autour d’éoliennes entravant les activités des éleveurs de rennes sámi en est une illustration (Cambou, 2020). Cela montre toute la complexité du lien entre justice climatique et justice sociale ou culturelle, tout en interrogeant la possibilité pour les peuples concernés d’être des acteurs à part entière de la transition.
La reconnaissance du fait que la mobilité de ces peuples ne constitue pas uniquement « un exercice récréatif de plein air » comme il a pu être décrit par un Inspecteur en chefs de mines en Suède (rapporté par : Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, communication n°54/2013, constatation du 18 novembre 2020), mais bien un mode de vie essentiel et existentiel des peuples autochtones, interroge également le droit (international) de la personne humaine. La préservation de leurs activités de chasse, de pêche et de cueillette traditionnelles, constitutives de leur identité culturelle (Aumond, 2020), invite à reconsidérer le droit de propriété à l’aune de leur situation particulière (Gilbert, 2014). Leur liberté de circulation questionne également les relations entre leurs territoires ancestraux, dessinés par leur mobilité, et les territoires étatiques qu’ils sont en mesure de chevaucher (Aumond, 2024). L’exercice de leurs droits sociaux suppose également une adaptation des services publics, notamment de santé et d’éducation, pour les rendre disponibles et accessibles. Il en va de même afin d’aménager le droit pour les peuples autochtones mobiles de participer aux décisions publiques. Cet ensemble de droits renvoie alors plus largement au droit à l’autodétermination dont disposent les peuples autochtones.
2. La mobilité comme expérience de vie : les peuples autochtones en mobilité
Les peuples autochtones peuvent assurément être inscrits dans une mobilité sans que celle-ci ne caractérise leur mode de vie.
Cette mobilité peut, en premier lieu, être interne. Le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a par exemple souligné combien l’exode rural auquel ont été contraintes – et continuent de l’être – nombre de populations autochtones constitue, notamment en raison de la rupture de la connexion avec la terre et ses ressources qu’il est susceptible d’engendrer, un risque de perte d’identité, de langue et de culture (Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, 2021). Ce risque a également été pointé par le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, lequel a en outre mis en évidence les difficultés que ces peuples peuvent affronter dans le cadre de leur mobilité internationale (Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, 2019).
Le Mécanisme a dans ce contexte isolé le sort des peuples autochtones transfrontaliers, dont le territoire autochtone s’étire sur celui de plusieurs États, à l’instar des Kickapoo à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. On retrouve ainsi l’interrogation soulevée pour les peuples autochtones mobiles autour de la relation entre territoire autochtone et territoire étatique et la question de l’opposabilité des frontières délimitant le second dans le cadre d’une mobilité interne au premier (Aumond, 2024).
Les autochtones résidant dans un État autre que celui dont ils sont originaires composent une diaspora qui entretient des liens avec leur communauté d’origine dont les ressorts et les ressources méritent d’être analysés.
La mobilité des peuples autochtones, parfois volontaire, s’avère en réalité le plus souvent contrainte. Les expulsions motivées par des projets notamment miniers se heurtent alors aux droits des autochtones sur leurs territoires, terres et ressources et à l’obligation des États de garantir leur consentement préalable, libre et éclairé.
L’autochtonie peut entraîner des persécutions et les forcer à fuir leur pays. Ces persécutions peuvent également résulter de leurs opinions politiques exprimées en particulier au soutien de la défense de leurs droits et intérêts notamment environnementaux (Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits humains, 2016). Des autochtones peuvent en conséquence relever de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié.
Les changements climatiques poussent également de nombreux peuples autochtones à se déplacer, le cas échéant, en franchissant des frontières étatiques. S’ils ne peuvent, pour l’heure, mobiliser un droit international de l’asile ne consacrant pas de statut de réfugié climatique, l’interprétation évolutive du droit international des droits humains, en particulier d’un droit à la vie compris désormais comme droit à la vie digne, leur permet dès à présent de s’opposer à tout renvoi vers leur pays d’origine s’il est en risque de les exposer à une atteinte à ce droit fondamental (Comité des droits de l’homme, Teiotiota c. Nouvelle-Zélande, communication n°2728/2016, constatation du 24 octobre 2019).
Axes
Les propositions pourront analyser l’un ou l’autre de ces deux aspects de la mobilité ou les considérer ensemble, notamment autour d’enjeux qu’ils ont en partage (par exemple, en ce qui concerne les questions environnementales, le territoire autochtone, l’autodétermination ou le rapport aux ressources).
Elles pourront également appréhender l’ensemble des peuples autochtones (mobiles) ou s’attacher à certaines sous-catégories (par exemple, la situation des peuples autochtones en situation d’isolement volontaire ou de premier contact). De même, l’analyse pourra porter sur les enjeux communs à l’ensemble considéré ou se concentrer sur un peuple autochtone en particulier.
Une approche pluridisciplinaire s’avère par ailleurs indispensable au regard de la thématique. Des études en histoire, science politique, anthropologie, droit (national, régional, international ou comparé) sont en conséquence bienvenues.
Modalités de soumission
Les auteurs intéressés peuvent envoyer leurs propositions d’articles (une page) à contact.nomopolis chez gmail.com avant le 1er février 2025
Les propositions seront évaluées par le Comité de rédaction qui rendra un premier avis.
Les articles définitifs devront ensuite respecter les modalités de soumission et être envoyés avant le 1er mai 2025.
Les articles peuvent être en français ou en anglais.
Comité de rédaction : François Hourmant (Université d’Angers) et Erwan Sommerer (Université d’Angers), dir. avec la collabb. de Caroline Duparc (Université d’Angers), Jean Fougerouse (Université d’Angers), Rosane Gauriau (Université d’Angers), Sophie Lamber-Wiber (Université d’Angers)
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