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Appel
Date limite de soumission : lundi 30 juin 2025
Ce numéro thématique propose alors d’explorer les phénomènes multidimensionnels de résistance, de résilience, de résurgence cosmopolitique vécus et mis en actions par les communautés autochtones d’Asie du Sud, d’Asie du Sud-Est et d’Austronésie. En conjuguant les perspectives anthropologiques contemporaines, ce numéro vise à approfondir les liens entre les corps, les lieux, les ancêtres et les mémoires, en examinant comment ces éléments contribuent à la compréhension et à la construction des identités communautaires, de la territorialité et de leurs revendications. Nous cherchons à mettre en lumière les manières dont ces communautés naviguent dans leurs relations avec leur environnement et leur héritage culturel, tout en affirmant leurs droits et leur présence sur leurs territoires.
Bien que la reconnaissance des droits et du statut des peuples autochtones à l’échelle mondiale semble avoir progressé de manière positive depuis la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) en 2007, il apparaît que cette avancée demeure inégale. Contrairement à la situation dans les Amériques ou en Océanie, où la distinction entre les peuples autochtones et descendants des communautés coloniales est généralement assez marquée, en Asie du Sud et du Sud-Est, l’histoire de migrations, de peuplement, et d’ethnogenèse rend les questions d’identités autochtones plus complexes (Baird 2016 ; Chua & Idrus 2022). Nombreux sont les gouvernements qui nient l’existence de peuples autochtones sur leur territoire, ou du moins, adoptent une attitude ambivalente à ce sujet, ce qui constitue un obstacle significatif à la reconnaissance de leur particularisme (Morton 2023). Par exemple, le gouvernement indien soutient publiquement que soit il n’y a pas de peuples autochtones en Inde ou soit tous les Indiens sont autochtones (Karlsson 2011 ; Vandenhelsken et al. 2018), malgré la ratification de plusieurs traités internationaux sur le sujet. Ce type de négation est une entrave importante à la capacité des peuples autochtones à valoriser leurs identités, revendiquer leurs droits, préserver leur culture et participer activement à la vie politique et sociale de leur pays (Karlsson 2013).
De plus, les processus coloniaux et post-coloniaux de création des États et des nations ont souvent imposé des frontières arbitraires sur des territoires poreux ; frontières qui ont et continuent de diviser des communautés et groupes ethniques à travers plusieurs pays. Les groupes autochtones et les communautés minoritaires résident souvent dans des espaces « entre-deux », situés aux marges des structures politiques et sociales, sur des territoires qui échappent à une pleine intégration tout en demeurant mal délimités. Ces frontières, aussi bien étatiques que symboliques, jouent un double rôle en divisant et unissant à la fois, pouvant accueillir ou rejeter l’autre, jusqu’à produire de l’indésirabilité tout en étant façonnées par cette dernière (Agier 2022). Cette indésirabilité est « l’imageproduite d’un regard voilé par la peur des autres sous ses différents aspects. Il est entretenu, repris et politisé [...]. Ce climat de peur appelle toujours plus de sécurité immunitaire, favorisant des stratégies de repli, de protection et de séparation » (op. cit. : 70). Les tensions ou frictions entre les communautés aux marges et les États se traduisent souvent par des conflits multidimensionnels, souvent modelés par la forme du système étatique en place. En effet, à travers l’Asie du Sud et du Sud-Est, on retrouve une grande variété de régimes politiques, allant des monarchies aux républiques en passant par des états fédéraux, qui ont chacun des héritages politiques divers, tels que le communisme ou les régimes militaires, qui affectent fortement les manières dont ils ont de composer avec la diversité sociale et culturelle.
Dans les États centralisés comme le Vietnam et l’Indonésie, les politiques assimilationnistes exacerbent ces tensions, tandis que des États fédéraux comme la Malaisie offrent des espaces d’autonomie limités, bien que largement conditionnés par des intérêts économiques. Les héritages communistes, notamment au Laos et au Vietnam, amplifient la marginalisation en uniformisant les identités locales au nom du développement national. Cette diversité de modèles étatiques structure directement les modalités de reconnaissance ou de contestation des droits des peuples autochtones. Certains conflits liés à l’extraction des ressources, à la déforestation et aux déplacements de population. Dans certains pays comme au Vietnam, au Laos et au Cambodge, les terres occupées par les peuples autochtones étant perçues comme « sous-exploitées », se voient accaparées par l’État à des fins de développement et de projets extractivistes. Dans ces systèmes, où la gouvernance foncière est fortement centralisée, la propriété de la terre est fréquemment considérée comme appartenant à l’État ou comme relevant de la collectivité. Cette gestion centralisée, héritée des cadres communistes, privilégie les grands projets économiques nationaux, marginalisant les revendications des peuples autochtones. Ces activités, forcent souvent l’inscription de ces minorités ethniques dans l’économie nationale et internationale, à la fois comme producteurs et consommateurs. Elles engendrent une double dépendance, étatique et commerciale, tout en transformant profondément les modes de vie et les relations au monde de ces peuples. Cependant, ces politiques ignorent souvent les liens complexes et multiformes que ces peuples entretiennent avec leur environnement. Les systèmes relationnels avec les existants, y compris les animaux, les végétaux, les invisibles, sont dès lors bouleversés.
Confrontées à des défis tels que le déracinement, la marginalisation, la reconnaissance limitée et la séparation transfrontalière, les communautés autochtones d’Asie du Sud et du Sud-Est ont développé diverses stratégies pour résister politiquement, affirmer leurs droits et préserver leur relation aux territoires ainsi que leurs modes de vie. Ces résistances se manifestent de multiples façons, qu’elles soient de nature judiciaire ou sociopolitique, telles que le recours international et l’activisme communautaire en vue de faire valoir leurs droits sur les terres et les ressources, de mettre en évidence les violations des droits de l’homme et d’établir des réseaux transfrontaliers (Baird 2016). Elles prennent cependant également des formes cosmopolitiques. Le concept de « cosmopolitique » nous parait alors pertinent pour analyser les relations entre les peuples autochtones et les États en Asie.
En effet, ce concept a déjà été largement utilisé dans la littérature anthropologique sur les communautés autochtones des Amériques. Sa portée heuristique réside en ceci qu’il permet de dépasser les conceptualisations limitées sur le monde et de prendre en considération les manières dont les ontologies relationnelles opèrent pour inclure les humains et les non-humains (y compris, mais sans s’y limiter les esprits, les animaux, les plantes, les objets et les territoires) comme être agissant (Poirier 2008 ; De la Cadena, 2010 ; Blaser 2013). Lorsqu’on parle de « cosmopolitique, la perspective est d’aller va au-delà des simples interactions ; il réfère aux dynamiques complexes de la formation, du maintien et de la compréhension de ces relations et englobe les systèmes de croyances et les visions du monde des communautés autochtones qui façonnent celles-ci interactions, ainsi que les cadres normatifs qui les guident (De la Cadena & Blaser 2018). De plus, ces relations sont au cœur de l’inscription territoriale, de la gestion environnementale et de la gouvernance communautaire. Ces différentes manières de connaître et d’être - souvent décrites en tant qu’ontologies - ne sont pas seulement articulées dans le cadre politique et social, mais également négociées dans le quotidien, façonnant les résistances et les résurgences.
Par ailleurs, pour nombre d’entre nous qui ne sommes membres des groupes sociaux avec lesquels nous travaillons, il est essentiel de nous interroger sur les implications de notre présence physique - ou, à l’inverse, de notre absence - pour les communautés et les espaces que nous étudions. La transparence et le travail collaboratif sont devenus les mots d’ordre et des modalités nécessaires dans le cadre de projet de recherche que nous menons avec des communautés. Restitution, partenariat, positionnalité et relations de pouvoir sont apparus comme des aspects essentiels à prendre en compte lors de nos recherches. De plus, il est important de questionner notre impact, notre rôle et notre responsabilité en tant que chercheurs ou intervenants extérieurs sur ces terrains « lointains ». Ces enjeux nous mènent aussi à la question de l’engagement et du corps. Comme l’a noté Clifford Geertz, « What sort of scientists are they whose main technique is sociability and whose main instrument is themselves ? » (Geertz 2000 : 94). En des termes plus personnels, comment s’adapte-t-on aux spatialités uniques rencontrées dans ces environnements de recherche ?
Ce numéro thématique propose alors d’explorer les phénomènes multidimensionnels de résistance, de résilience, de résurgence cosmopolitique vécus et mis en actions par les communautés autochtones d’Asie du Sud, d’Asie du Sud-Est et d’Austronésie. En conjuguant les perspectives anthropologiques contemporaines, ce numéro vise à approfondir les liens entre les corps, les lieux, les ancêtres et les mémoires, en examinant comment ces éléments contribuent à la compréhension et à la construction des identités communautaires, de la territorialité et de leurs revendications. Nous cherchons à mettre en lumière les manières dont ces communautés naviguent dans leurs relations avec leur environnement et leur héritage culturel, tout en affirmant leurs droits et leur présence sur leurs territoires. Nous sommes ouverts aux textes qui explorent les relations complexes et multiformes entre les humains et les non-humains, en utilisant le prisme de l’anthropologie sensorielle. Cette approche consiste à examiner la manière dont les humains interagissent avec leur environnement, y compris les animaux, les végétaux, les invisibles et les paysages, par le biais d’expériences incarnées. Nous souhaitons également ouvrir l’appel à des réflexions méthodologiques qui abordent l’expérience du chercheur sur le terrain et nous invitent à réfléchir à la manière dont notre position, nos comportements et nos interactions influencent à la fois le processus de recherche et les données que nous recueillons. Nous encourageons donc les écrits critiques qui adressent notre rôle, notre impact et les dimensions éthiques de nos recherches dans ces contextes géographiques particuliers.
Conditions de soumission
Pour ce numéro, nous prendrons en considération les contributions suivantes : articles scientifiques, essais, interviews et récits ethnographiques personnels. Le bilinguisme (anglais et français) sera également privilégié.
Celle-ci devra inclure un titre provisoire et un résumé de 300 mots.
La date limite de soumission est fixée au 30 juin 2025.
Veuillez envoyer votre proposition au format .doc ou .docx à [>cahiersduciera chez ciera.ulaval.ca], kyla.scaife chez student.uclouvain.be et marwan.attalah chez uclouvain.be
Si votre proposition est retenue, nous vous inviterons à soumettre une première version complète de votre article avant le 5 septembre 2025.
Les manuscrits seront ensuite soumis à un processus d’évaluation par les pairs.
Les articles de recherche et les notes de recherche doivent comprendre entre 6000 et 8000 mots, bibliographie et notes de bas de page incluses.
Références
Agier, Michel (2022). La peur des autres : Essai sur l’indésirabilité. Rivages.
Baird, Ian G. (2016). Indigeneity in Asia : An emerging but contested concept. Asian Ethnicity, 17(4), 501–505. https://doi.org/10.1080/14631369.2016.1193804
Blaser, Mario. 2013. « Ontological conflicts and the stories of peoples in spite of Europe : Toward a conversation on political ontology ». Current anthropology 54 (5) : 547-568.
Blaser, Mario. 2016. « Is another cosmopolitics possible ? » Cultural Anthropology, 31(4) : 545-570
Byl, Cédric, Aiko Cappe, Frédéric Laugrand, Nicolas Loodts et Lionel Simon. dir. 2023. Anthropologie du végétal. Substances, représentations, relations et communications. Louvain, Academia, coll. Investigations d’Anthropologie prospective. Volume 22 (1) : Au-delà du plantationocène, le polymorphisme des plantes ; Volume 23 (2) : L’ontologie flottante du végétal et la plante ambassadrice.
Chua, Liana, & Idrus, Rusaslina (2022). Introduction : Unpacking Indigeneity in Southeast Asia. Sojourn : Journal of Social Issues in Southeast Asia, 37(1), 1–26.
Clammer, John, Sylvie Poirier et Eric Schwimmer. dirs. 2004. Figured Worlds. Ontological Obstacles in Intercultural Relations. Toronto, University of Toronto Press.
De la Cadena, Marisol. 2010. « Indigenous cosmopolitics in the Andes : Conceptual reflections beyond “politics” ». Cultural anthropology, 25 (2) : 334-370
De la Cadena, Marisol, and Mario Blaser, éds. 2018. A World of Many Worlds. Durham : Duke University Press.
Dussart, Françoise et Sylvie Poirier. dir. 2017. Entangled Territorialities : Negotiating Indigenous Lands in Australia and Canada. Toronto : University of Toronto Press.
Dussart, Françoise et Sylvie Poirier. dir. 2021. Contemporary Indigenous Cosmologies and Pragmatics. Edmonton, University of Alberta Press.
Geertz, Clifford. 2000. Available Light : Anthropological Reflections on Philosophical Topics. Princeton University Press.
Karlsson, Bengt G. 2011. Unruly Hills : A Political Ecology of India’s Northeast. Berghahn Books.
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Morton, Micah F. 2023. Multiculturalism from Below : Indigeneity and the Struggle for Recognition in Thailand. Journal of Anthropological Research, 79(1), 3–30. https://doi.org/10.1086/723074
Poirier, Sylvie. 2008. « Reflections on Indigenous Cosmopolitics/poetic. » Anthropologica, 50 (1) : 75-85.
Vandenhelsken, Mélanie, Barkataki-Ruscheweyh, Meenaxi, & Karlsson, Bengt. 2018. Geographies of Difference. Explorations in Northeast Indian Studies. London and New York : Routledge.
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