Accueil ▷ Actualités ▷ Actualités
Appel
Date limite de soumission : dimanche 10 décembre 2023
[Journée d’étude organisée par Hugo Carlier (Centre d’histoire de Sciences Po, hugo.carlier chez sciencespo.fr) et Juliette Françoise (Université de Genève / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, juliette.francoise chez unige.ch) au Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP, Paris) le 7 juin 2024->https://www.sciencespo.fr/histoire/fr/actualites/appel-communication-monnaies-imperiales-monnaies-coloniales-0.html].
Cet appel s’adresse autant aux doctorants et jeunes chercheurs qu’aux chercheurs confirmés.
La monnaie n’appartient plus uniquement à l’histoire économique. Ces dernières décennies, elle est devenue un objet d’étude important pour l’histoire politique, sociale et culturelle. Le renouveau de l’histoire monétaire doit beaucoup à la numismatique ainsi qu’à l’intérêt sans cesse réaffirmé de l’anthropologie et de la sociologie pour l’institution monétaire (Zelizer 1994 ; Maurer, 2006 ; Neiburg et Dodd 2019). Au-delà de l’adage traditionnel selon lequel la monnaie remplit les fonctions d’intermédiaire des échanges, de moyen de paiement, d’unité de compte et de réserve de valeur, l’économie hétérodoxe envisage la monnaie comme un fait social total incorporant en plus des fonctions économiques, les dimensions culturelles, symboliques et morales qui lient les individus entre eux par la dette et permettent également de les en libérer (Théret 2008, Alary et al. 2016). À l’intersection de ces approches, la monnaie soulève des enjeux politiques et économiques car elle s’immisce dans la répartition des richesses et de l’autorité à travers le temps et l’espace (Cohen 2015).
Depuis les années 1990, l’historiographie appréhende la monnaie comme un moyen d’exercer le pouvoir sur un territoire, en particulier dans le cadre de l’État-nation (Gilbert et Helleiner 1999 ; Helleiner 2003). Des projets collectifs plus récents interrogent le rôle de la monnaie en contexte colonial depuis l’Antiquité (Kemmers et Myrberg Burström 2022). L’ouvrage collectif Monetary Transitions (Pallaver 2022) envisage la monnaie comme un objet permettant de dévoiler certaines dimensions socio-économiques des situations coloniales dans les sociétés africaines. En comparaison avec l’État-nation et les situations coloniales, les historiens se sont moins intéressés au rôle de la monnaie dans la formation des différents types d’empire. Même dans cette optique, les empires sont souvent réduits aux empires coloniaux contemporains (Helleiner 2002 ; Narsey 2016).
Prendre en compte une diversité plus importante de formations politiques et territoriales impériales – au-delà des exemples coloniaux – pourrait permettre de porter un autre regard sur la monnaie et les empires. La domination impériale s’exerce en effet de façon très relative, directement ou indirectement, sur des colonies, États tributaires, dominions, protectorats ou encore des comptoirs, pour ne citer que quelques exemples (Adas 1998). Pour Jane Burbank et Frederick Cooper, les empires sont en effet « de vastes unités politiques, expansionnistes ou conservant le souvenir d’un pouvoir étendu dans l’espace, qui maintiennent la distinction et la hiérarchie à mesure qu’elles incorporent de nouvelles population » (2010). Cette définition offre un cadre analytique riche pour étudier l’hétérogénéité monétaire et la multiplicité des monnaies qui s’imposent comme deux caractéristiques principales des situations impériales (Kuroda 2020). La dimension politique de la monnaie découle en partie de son émission par l’État, qui en a progressivement fait une prérogative souveraine. Les économistes ont ainsi mis l’accent sur les différents régimes de souveraineté monétaire à travers l’histoire (Blanc 2002). Si les historiens identifient les particularités de la souveraineté en contexte impérial, la monnaie est rarement mobilisée pour étudier cette notion (Benton 2001, 2010 ; Wilson et Dilley 2023). Les potentialités juridiques de la monnaie ne sont pourtant pas réductibles aux enjeux de souveraineté. Dans quelle mesure la monnaie participe à l’édification de systèmes juridiques impériaux pluralistes - afin d’opérer un traitement différencié entre différents groupes sociaux en fonction de leurs statuts et de leurs droits - demeure une question ouverte (Benton and Ross 2013, Dewar 2022).
Étudier les situations impériales et coloniales sous le prisme de la monnaie offre trois avantages. Premièrement, cela permet de réfléchir au fonctionnement d’entités politiques expansionnistes que l’historiographie appréhende désormais comme assez malléables, géographiquement imprécises et recouvrant une multiplicité juridique de territoires dominés et partiellement contrôlés par la métropole (Heuschert 1998 ; Benton 2010 ; Lignereux 2017). Deuxièmement, l’étude des dynamiques monétaires incite à réinsérer au cœur de l’histoire des empires leur dimension économique intrinsèquement violente et inégalitaire (Cogneau 2023). Que la monnaie soit un vecteur d’intégration pour différents territoires et différents groupes sociaux au sein de l’empire – qui leur permet notamment d’accéder aux marchés internationaux – ou qu’elle renforce certaines frontières socioéconomiques et participe ainsi au gouvernement de la différence des empires, demeure une question ouverte et nous espérons que certaines contributions tenteront d’y répondre. Troisièmement, nous souhaiterions aborder les dynamiques impériales et coloniales à partir des périphéries dominées, autrement dit ancrer nos questionnements dans ces espaces, sans pour autant les isoler, mais plutôt de sorte à les resituer dans différentes échelles impériale, régionale, trans-impériale et globale, en considérant ces échelles comme étant elles-mêmes enchevêtrées (De Luca 2016 ; Gardner 2023). En particulier, comme l’a souligné la nouvelle histoire impériale, l’influence réciproque qu’exercent les métropoles impériales et leurs périphéries les unes sur les autres, mérite une plus grande attention, y compris en ce qui concerne les dynamiques monétaires. Observés minutieusement, les territoires impériaux se révèlent être des laboratoires d’expérimentations monétaires, parfois pilotées depuis la métropole, parfois élaborées sur place afin de répondre aux besoins monétaires pressants (Desbarats, 2021). Par ailleurs, s’intéresser aux pratiques monétaires quotidiennes pourrait nous permettre de mieux saisir le fonctionnement des sociétés impériales et coloniales, les capacités d’action des individus et leurs relations constamment renégociées avec les puissances impériales (Guyer 1999 ; Pallaver 2015 ; Jambu 2021 [A], 2021 [B]).
Si les empires créent des monnaies, fixent la valeur de la monnaie, donnent libre cours à certains moyens de paiement et délimitent leurs aires de circulation géographique et socio-économique, est-ce qu’ils émettent des monnaies impériales ? Est-ce que les contemporains (les administrateurs, les économistes et les philosophes politiques, les marchands et les banquiers, les élites impériales et coloniales et les usagers de la monnaie en général) concevaient les monnaies circulant dans les périphéries dominées des empires comme des monnaies impériales ? L’objectif de cette journée d’étude est d’apporter quelques éléments de réponses à ces questions et de réfléchir à la pertinence de la catégorie de monnaies impériales en lien avec celle de monnaies coloniales.
Cette journée d’étude doit être envisagée comme un espace de réflexion et d’échange sur les singularités et les similitudes entre diverses configurations monétaires impériales et coloniales. Dans cette optique, les contributions portant sur la monnaie en situations impériale et coloniale à travers le monde entre le xvie et le xxe siècle seront les bienvenues (Richards 1987 ; Pamuk 2000 ; Barreyre 2014 ; Barth 2016 ; Hongzhong, Qiao et Xu ; Garg 2019 ; Volckart 2020 ; Pravilova 2023). Le xvie siècle a été le moment non seulement de l’avènement des empires ultramarins européens (Cardim et al. 2012 ; Do Paço, 2019), mais aussi de l’émergence de l’économie globale dont les premiers produits à « faire mondialisation » ont été l’or, l’argent et le cuivre, notamment pour répondre à la demande de monnaie-marchandise de l’Asie (Von Glahn 1996 ; Flynn, Giráldez and Von Glahn 2003). La chute des empires et les décolonisations, au cours du xxe siècle, ont aussi impliqué des enjeux monétaires. Les nouveaux États-nations ont mis en circulation des monnaies nationales ou des monnaies communes au sein d’unions monétaires, alors qu’ils subissaient des pressions monétaires extérieures, et qu’ils ont parfois été contraints d’arrimer leur monnaie à une monnaie nationale étrangère voire de l’y substituer.
Thèmes et questions
Les participants sont invités à articuler leur réflexion autour des thèmes et des questionnements suivants, sans toutefois s’y limiter :
La souveraineté monétaire. La monnaie, en tant que composante de la souveraineté, peut-elle fournir des indices sur la souveraineté impériale stratifiée, malléable et imperméable ?
La matérialité des monnaies impériales et coloniales. La matérialité des objets monétaires peut-elle nous informer sur le symbolisme attaché à la domination impériale et coloniale et sur leurs usages par différents groupes sociaux ?
Les institutions chargées de la politique monétaire impériale et coloniale. Comment certaines institutions (les caisses d’émission monétaire, les offices de stabilisation des changes, les banques) émergent-elles ? Comment fonctionnent-elles et comment s’influencent-elles réciproquement ?
Le processus de création des monnaies impériales et coloniales. Comment les monnaies impériales et coloniales ont-elles été conçues, produites, transportées et mises en circulation ? Quel a été le processus de décision à différents niveaux et dans différents lieux dans l’empire ?
Les usages des monnaies impériales et coloniales. Comment différents groupes sociaux ont-ils adopté, adapté voire refusé les monnaies impériales et coloniales ? Dans quelle mesure les monnaies coloniales étaient-elles perçues et utilisées comme des monnaies impériales ?
Les problèmes et les crises monétaires. Quels étaient les problèmes monétaires spécifiques aux situations impériales et coloniales ? Comment les autorités impériales et coloniales, mais aussi les usagers de la monnaie, ont-ils tenté de les résoudre, d’y répondre et d’y faire face ?
L’histoire de la pensée monétaire. Comment les contemporains pensaient, écrivaient, débattaient du rôle de la monnaie dans la construction et la formation des empires et le contrôle des périphéries impériales ? Comment les idées, les savoirs et les techniques sur les monnaies impériales et coloniales circulaient au sein des empires et entre les empires ?
Modalités de candidature et organisation
Pour soumettre une proposition de communication, merci d’envoyer un court CV et un résumé de votre communication (500 mots maximum) en français ou en anglais d’ici au 10 décembre 2023 à imperial.colonial.currencies chez gmail.com. Vous serez recontacté(e) après l’avis du comité scientifique au plus tard le 31 janvier.
La participation est gratuite et les déjeuner/dîner/ pauses café seront pris en charge. Les frais de déplacement et/ou d’hébergement pourront être pris en charge dans la limite du budget disponible. Merci d’indiquer dans votre candidature si vous souhaitez bénéficier d’une aide au voyage et/ou à l’hébergement.
Comité scientifique
Patrice Baubeau (Université Paris Nanterre)
Anne Conchon (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Catherine Desbarats (McGill University)
Jérôme Jambu (Université Le Havre Normandie)
Karin Pallaver (Università di Bologna)
David Todd (Sciences Po)
Colloque
Vendredi 7 juin 2024 (Centre d’histoire de Sciences Po, Paris)
Page créée le jeudi 23 novembre 2023, par Webmestre.