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Appel
Date limite de soumission : samedi 15 novembre 2025
Ce dossier pour la revue Etudes Caribéennes vise à interroger, dans une perspective interdisciplinaire et comparatiste, les tensions et les alternatives qui traversent les systèmes agro-alimentaires insulaires. Il s’adresse à toutes celles et ceux qui travaillent sur les questions de souveraineté alimentaire, d’écologie politique, de justice environnementale, de santé publique ou de valorisation des savoirs locaux dans des contextes insulaires – qu’ils soient francophones, hispanophones, anglophones ou créolophones. Sont les bienvenues des contributions ancrées dans des recherches de terrain rigoureuses, ouvertes à la pluridisciplinarité et attentives aux dynamiques sociales, environnementales et culturelles spécifiques aux mondes insulaires.
Les liens entre agriculture locale, santé publique et souveraineté alimentaire cristallisent de profondes tensions sociales, politiques et écologiques. Les territoires insulaires – souvent marqués par des dépendances structurelles, une vulnérabilité accrue aux changements globaux et un héritage postcolonial – sont au cœur de dynamiques ambivalentes : d’une part, une persistance d’un modèle agro-industriel basé sur l’importation, la monoculture et l’usage de produits phytosanitaires controversés ; d’autre part, une valorisation croissante des agricultures traditionnelles, alternatives, de proximité ou de résistance (agroécologie, circuits courts, permaculture, biodynamie...).
L’agriculture, entendue ici dans une acception large, recouvre : les activités de production au sens strict (pêche, sylviculture, élevage, culture) ; les activités de transformation (agroalimentaire, artisanat alimentaire) ; les services associés (agrotourisme, vente directe, entretien des paysages ou des espaces naturels) ; et les externalités positives générées (préservation des sols, qualité de l’eau, gestion des paysages…). Cette approche systémique permet de considérer l’ensemble des contributions des systèmes agro-sylvo-pastoraux à la sécurité alimentaire et au développement territorial.
Les scandales sanitaires liés à l’utilisation de substances telles que le chlordécone, le glyphosate ou le paraquat, les déséquilibres d’accès au foncier productif, ou encore les retards dans la reconnaissance des maladies professionnelles agricoles, témoignent d’inégalités structurelles persistantes entre les territoires ultramarins et l’Hexagone. Dans les Antilles, comme en Polynésie française, ces décalages se traduisent également par l’inapplicabilité de certaines lois nationales – à l’image de la loi Lurel sur les marges abusives – soulignant la fragmentation du droit agricole et commercial dans les Outre-mer. Ces enjeux révèlent des asymétries postcoloniales, tant dans l’appréhension et la définition des problèmes (ontologies agricoles et épistémologies du développement) que dans les relations de pouvoir structurant les prises de décision, les politiques publiques et les capacités d’action locale.
Ainsi, les territoires insulaires se situent à l’intersection de plusieurs contradictions : entre injonctions à l’autonomie alimentaire et maintien de chaînes d’importation massives ; entre volonté de transition agroécologique et réalités climatiques, foncières ou phytosanitaires ; entre ambitions politiques de souveraineté alimentaire et effets ambigus des dispositifs d’aide (quotas, défiscalisation, taxes protectrices…). Toutefois, la notion d’autonomie ou de souveraineté alimentaire reste profondément normative. Elle présuppose une définition partagée de ce qu’est une alimentation saine, durable et culturellement acceptable – or ces critères sont souvent élaborés par des experts, des institutions internationales ou des gouvernements, sans toujours intégrer les représentations, les pratiques ni les besoins des populations locales. Qui décide, en effet, de ce qui est bon pour l’environnement et pour la santé ? Derrière les objectifs de relocalisation alimentaire, se jouent donc des arbitrages implicites sur les régimes alimentaires, la légitimité des savoirs agricoles traditionnels, ou encore les normes de qualité sanitaire. Dans plusieurs territoires ultramarins, les politiques de soutien à la production locale (par exemple via des dispositifs de défiscalisation ou de taxes de développement local) suscitent dès lors des controverses quant à leur efficacité, parfois accusées d’entraîner des hausses de prix, des pénuries ou des déséquilibres dans l’accès aux produits frais, tout en imposant des modèles de développement peu en phase avec les dynamiques territoriales.
Axes thématiques proposés (non exhaustifs) :
1. Agriculture locale, santé environnementale et exposition différenciée
Les usages de produits phytosanitaires dans les systèmes agricoles insulaires posent des questions aiguës de santé publique, de qualité des sols et de justice environnementale. Dans plusieurs cas, des substances interdites en métropole continuent d’être utilisées, révélant des écarts normatifs et des logiques de « double standard ». Toutefois, les jugements portés sur certaines pratiques agricoles ou régimes alimentaires locaux doivent être interrogés à l’aune de leur ancrage culturel. Ce qui peut être considéré comme inadéquat ou « à risque » depuis une perspective métropolitaine ou internationale peut correspondre, localement, à des équilibres alimentaires anciens, à des formes d’adaptation écologiques ou à des savoir-faire transmis intergénérationnellement. Cet axe s’intéresse donc aux effets différenciés des pollutions agricoles, aux controverses autour des seuils de tolérance, aux dispositifs de surveillance sanitaire et aux politiques locales de contrôle – tout en posant la question : selon quels critères, et par qui, les bonnes pratiques agricoles sont-elles définies ? Il interroge enfin la résilience des écosystèmes agricoles face aux stress climatiques et à l’intensification des pressions agricoles, dans des contextes où la pluralité des savoirs mérite d’être reconnue et articulée aux politiques de santé et d’environnement.
2. Systèmes alimentaires insulaires, politiques publiques, dépendance et régulation
Quels effets ont les dispositifs publics d’encouragement à la production locale (taxes de protection, quotas d’importation, défiscalisation...) sur la sécurité alimentaire réelle, l’accessibilité économique, la qualité phytosanitaire des produits, et la compétitivité des filières locales ? Comment les choix politiques (ou leur inapplication) influencent- ils les équilibres entre agriculture, commerce et santé publique ? Dans plusieurs cas, la faible efficacité de ces instruments contribue à creuser les écarts entre ambitions de souveraineté et dépendance structurelle aux produits importés.
3. Innovations agricoles, pratiques alternatives et justice alimentaire
Cet axe interroge les formes d’adaptation et de résistance dans les systèmes agro- sylvo-pastoraux insulaires : valorisation des savoirs traditionnels, circuits courts, appui aux jeunes agriculteurs, transformation locale, agrotourisme… Il accueille également des travaux sur la transition alimentaire – entendue ici dans une acception plurielle –, qu’il s’agisse de la lutte contre l’obésité et le diabète, de l’adaptation des régimes alimentaires aux ressources locales ou de la diversification des sources de protéines végétales. Toutefois, la notion d’« équilibre nutritionnel » mobilisée dans de nombreux programmes de santé publique mérite d’être interrogée : selon quels référentiels culturels, médicaux ou scientifiques est-elle définie ? Et par qui ? Dans des sociétés où les pratiques alimentaires sont héritées, partagées et parfois ritualisées, les tentatives de normalisation diététique peuvent entrer en tension avec des attachements culturels forts. Dès lors, les logiques d’hybridation, de transmission ou de diffusion des savoirs agricoles et culinaires doivent être analysées à la fois comme des dynamiques sanitaires, sociales et identitaires. Elles appellent une reconnaissance pleine des pluralismes alimentaires, au croisement des cultures, des savoirs et des politiques de santé.
4. Agriculture, santé et postcolonialité
Ce dernier axe propose une lecture critique des rapports de pouvoir qui structurent les systèmes alimentaires insulaires. Il s’agit d’interroger la manière dont les notions de « produit local », d’« autosuffisance » ou de « bonne alimentation » sont construites, mobilisées et parfois instrumentalisées dans les discours politiques, les récits identitaires ou les dispositifs de santé publique. Ces représentations ne sont jamais neutres : elles traduisent des visions spécifiques du développement, de la modernité ou du bien-être, souvent imposées depuis des centres de pouvoir extérieurs. Ce volet accueille ainsi des contributions portant sur les conflits épistémiques, les régimes de vérité, les usages différenciés du droit sanitaire et alimentaire, ou encore les dispositifs de gouvernementalité à l’œuvre dans les politiques publiques. Il accorde une attention particulière aux asymétries de reconnaissance, de protection et de légitimité entre les territoires ultramarins et hexagonaux, dans une perspective critique et postcoloniale.
Par ces quatre axes, croisant analyses empiriques rigoureuses et lectures critiques des enjeux sanitaires et agricoles, ce dossier entend mettre en lumière les tensions – mais aussi les possibilités – qui traversent les territoires insulaires contemporains à l’heure de la transition écologique.
Modalités de soumission
Les propositions doivent être adressées à anthony.tchekemian chez upf.pf, >dehoorneo chez gmail.com] et jc.gaillard chez auckland.ac.nz avec copie à etudescaribeennes chez gmail.com avant le 15 novembre 2025
Les articles définitifs (entre 6 000 et 8 000 mots) devront suivre les normes éditoriales de la revue
Calendrier prévisionnel
Réception des propositions d’articles comprenant : le titre de l’article, la question principale de recherche, la méthodologie, le terrain d’étude, les principaux résultats (résumé de 4 500 signes espaces compris, hors bibliographie) + l’axe thématique visé + la bio-bibliographie des auteurs (800 signes environ), et les coordonnées de l’auteur référent pour l’échange avec les coordinateurs ou la rédaction) : 15 novembre 2025
Retour sur les propositions retenues : 15 décembre 2025
Remise des articles complets : 15 avril 2026
Évaluation en double aveugle : mai-juillet 2026
Parution du dossier : décembre 2026
Coordinateurs du dossier
Anthony Tchekemian, Mcf Hdr géographie et aménagement du territoire Université de la Polynésie française - UMR 241 SECOPOL, UMR 228 Espace-Dev - anthony.tchekemian chez upf.pf
Olivier Dehoorne, MCF géographie et aménagement du territoire Université des Antilles Ur 6-1 AIHP-GEODE Caraïbe - dehoorneo chez gmail.com
J-C Gaillard, Ahorangi o te Matawhenua - Professor of Geography Te Kura Mātai Taiao - School of Environment Waipapa Taumata Rau - The University of Auckland jc.gaillard chez auckland.ac.nz
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